Le rebelle du surréalisme par Elisabeth Hamon Les sémiographies ou plutôt les sismographies voluptueuses d'André Masson se sont installées pour tout l'été au Château des
Adhémar – fier château médiéval qui surplombe Montélimar. Dès le départ, André Masson, ce démiurge nous propulse dans son univers à un rythme effréné
entre envol et chute. La foudre qui traverse le labyrinthe de l'être projette son écho à la fois dans l'espace aérien et dans le monde tellurique, et l'artiste est là pour
enregistrer et retracer les secousses. Ces frémissements de plume, ces fourmillements de formes se situent "au delà des frontières" dans cette "zone
off-limits" dont parle Leiris et échappent à toute classification. Ils correspondent aux tentatives littéraires de Georges Bataille et de Michel Leiris lui-même,
personnalités très liées à l'artiste; d'ailleurs André Masson illustra en 1934 la revue "Acephale" de Bataille dont il partageait la philosophie dyonisiaque. Transgression et refus de tout système.
"Nous sommes ingouvernables. Le seul maître qui nous soit propre, c'est l'Eclair. Qui tantôt nous illumine, et tantôt nous pourfend ".  Ces lignes de René Char pourraient servir de prélude à l'œuvre de Masson lui-même grand
connaisseur de littérature contemporaine mais aussi elisabethaine et romantique. Une petite pièce est consacrée justement à ces fameux portraits de poètes réalisés à la fin des années 30 et au cours des années 40 :
John Donne, Hölderlin, deux portraits de Kleist (l'un, de 1939, est une peinture d'un expressionisme arcimboldesque, l'autre est une encre de 1940 qui préfigure les désastres de la seconde guerre), Goethe (dont le
traitement n'est pas sans rappeler la rigueur d'un Dürer), mais aussi Baudelaire, Sade et son ami Antonin Artaud qui lève le doigt en guise d'avertissement( on est toujours en
1940). Egalement quatre portraits à l'encre de chine d'un Balzac traversé par la tourmente. Dans les années 20 et 30, il avait illustré des textes de Georges Limbour, de Michel Leiris et du trop tôt disparu
Robert Desnos. De 1941 à 1945, il vit aux U.S.A. Durant cette période très féconde, il crée un bestiaire fantastique, un enchevêtrement de formes cristalloïdes. Il met l'accent
sur le geste et son travail à mi-chemin du surréalisme et de l'expressionnisme ouvrira la voie aux créateurs américains : Pollock, Gorky, Motherwell…
En 1943, "Anatony of my universe", suite de dessins avec commentaires, dédié à Jacques Lacan, sera le manifeste de cette époque. Dans une apparente débauche linéaire, dans un lacis de courbes sensuelles
fiévreusement prodiguées sur toute la toile, Masson semble vouloir se délivrer spontanément d'un monde qu'il porte en lui. Ce langage cursif, hâtif, lascif, qui
emprunte parfois à l'écriture automatique, tressaille d'une vie intense. - Figures de rêves enfouies sous un sommeil de pierre et vie animale tapie sous le
débordement de la végétation. Il est clair que si les portraits sont des paysages de l'être, les paysages, eux, sont des figures de l'homme.
Dès son retour en France, il collabore avec Jean Louis Barrault pour des décors de théâtre et illustre des ouvrages de Malraux et Tzara. Les Vingt deux dessins sur le thème du désir
, réalisés en une seul journée en 1947, sont une pure merveille (Ils furent édités en 1961 avec une présentation de Jean-Paul Sartre).
Il parvient à endiguer et organiser ce jaillissement lyrique pour en faire un songe mélodique. Voici ce qu'en dit son auteur "En avril dernier, à la veille de Pâques, étant demeuré depuis
quelques mois sans dessiner pour la simple joie de le faire, - je fus pris d'une fringale de dessin. Du matin de ce jour-là jusqu'au coucher du soleil, une vingtaine de feuilles de papier de grand format
(50cm x 62cm) furent couvertes de formes imprévisibles. Le lendemain, deux seulement, la source était tarie." Contempler la beauté, en devinant sa ruine et son érosion, avec toujours la
pensée de Nietzsche en ligne de crête : énergie volcanique. A la manière du danseur nietzschéen, il sait que toute parole est jeu de mots et que les signes sont sans piste. Si dans les années 20 et 30, son œuvre est encore marquée par l'influence cubiste, en revanche dans les années 40, sa personnalité s'affirme et s'épanouit
pleinement pendant la période où il vit à Aix en Provence, c'est-à-dire jusqu'aux début des années 60. On est littéralement emporté dans ces tourbillons graphiques voyageant du
Château des Adhémar à celui du célèbre Seigneur de La Coste, plus connu sous le nom de "Marquis" !. Pour conclure poétiquement, encore un petit texte de René Char. "O terre devenue tendre !/
O branche où mûrit ma joie !/ La gueule du ciel est blanche./ Ce qui miroite là, c'est toi,/ Ma chute, mon amour, mon saccage"
André Masson, amitiés d'atelier. Montélimar – Château des Adhémar Jusqu'au 27 septembre 1999 Tel : 04 75 00 62 301)Antonin Artaud 2)Goethe 3)Le Château de Lacoste. |