Grandjean au Lutrin

Par Nelly Gabriel

Inutile de se le cacher, c'est fou ce que l'on pense à Paul Klee devant les aquarelles de Raymond Grandjean que la galerie Le Lutrin expose jusqu'au 22 avril. Une même poésie cosmique et musicale y met en ordre un univers libéré de la représentation.

Autodidacte, Grandjean commence à peindre à la fin des années quarante. Ce sont alors, comme le montrent quelques œuvres exposées dans un parcours qui ne se veut pas particulièrement chronologique, de vigoureux paysages urbains, lieux sans séduction particulière mais non sans atmosphère. S'y expriment une vision austère de l'homme et du monde, un réalisme dur, une certaine tristesse, que le Lyonnais partage avec d'autres artistes de cette époque, l'après-guerre. Un trait concis et sûr y stylise les formes, quant à l'architecture de l'œuvre, elle repose sur une composition solide et bien charpentée.

Après ce début figuratif, descriptif, il semble que Grandjean se désintéresse du monde extérieur pour lui substituer un monde plus personnel. Monde originel, monde de l'enfance, avec ces personnages baignés de limbes, des années 50, ou encore et surtout, monde intérieur, à visage abstrait dans ses recherches plastiques, la feuille à dessin, jamais de grand format, accueillant une structure autonome sans rapport avec le réel, mais, humain, dans ses connotations imaginatives. Le paysage urbain revient dans son œuvre, dans les années 80, mais c'est dans un tout autre esprit que celui des premières aquarelles. Des façades aux couleurs douces imposent alors une vision proche d'un dessin naïf, avec leur précision délicate, leur application sage.

Quelques natures mortes sont visibles ça et là. Mais elles mettent en scène plus des idées de bouteilles, devenues prétextes à jeux et à déclinaisons colorés. En fait, l'essentiel de cette rétrospective qui propose cinquante ans d'aquarelles, de 1947 à 2000, est constitué par une recherche formelle à partir de la mise en ordre, comme sur des portées, de plans ou de signes colorés répétitivement posés en aplat, ou d'explorations de perspectives. Dans la finesse des lignes, dans la délicatesse des coloris, naissent des paysages. On imagine des fantaisies de lune pleine ou de soleil d'hiver, on invente des histoires de complicités ou de solitudes géométriques. On devine des jeux poétiques, humoristiques, ou graves. Des correspondances de sons et de couleurs s'insinuent. La rigueur et la rêverie s'y donnent la main.

50 ans d'aquarelles
Raymond Grandjean,
galerie Le Lutrin, 4, place Gailleton, Lyon.
Tél.: 04 78 42 58 00. Jusqu'au 22 avril.

L'oeuvre du bas est le frontispice de l'ouvrage de Serge Gaubert: Jérome hors jeu